Le contexte
L’aménagement du camp de Brens en lieu clos entouré d’une palissade en bois de 3 m de hauteur, surmontée de barbelés, de guérites et de trois miradors, le tout surveillé par des hommes en armes, rendait tout projet d’évasion très difficile.
Pourtant, en dépit de cette configuration particulièrement répressive, des évasions purent avoir lieu, en raison de la détermination et de la combativité des militantes politiques internées. Toutes eurent lieu sur le côté le plus abrupt, mais aussi le moins surveillé, la falaise couverte de broussailles et d’arbustes donnant sur le Tarn.
Les évasions individuelles
Dora Schaul (1913-1999)
Antifasciste allemande juive, réfugiée à Paris depuis 1934, proche du Parti Communiste, elle est arrêtée en septembre 1939 et incarcérée à la prison de la Petite Roquette comme « ressortissante d’une puissance ennemie ». Le 17 octobre 1939 elle est transférée au camp de Rieucros en Lozère, puis à celui de Brens le 14 février 1942.
Pressentant l’organisation de nouvelles rafles en zone non occupée Dora Schaul met au point soigneusement son projet d’évasion en choisissant la date de la fête nationale du 14 juillet, prévoyant un relâchement dans la surveillance des gardiens.
En effet, elle réussit à franchir les barbelés, à se laisser glisser vers le Tarn et à rejoindre à pied la gare de Lisle-sur-Tarn après avoir marché dans la boue du bord de rivière et retrouvé par endroits l’ancien chemin de halage ; elle prend alors le train jusqu’à Toulouse où des amis résistants la cachent et lui permettent de regagner Lyon. Dans cette ville, elle entre d’abord en contact grâce à une internée polonaise de Rieucros avec la section M.O.I. polonaise, puis, sous de faux papiers, elle participe aux actions de la section du T.A. ou « Travail Allemand » créée au sein du PCF pour combattre l’idéologie nazie en faisant pénétrer des tracts antifascistes dans les casernes de l’armée d’occupation, ou en collant des affiches.
Elle jouera ensuite un rôle très important au sein de la Poste aux Armées où elle pourra fournir à la Résistance des informations sur les mouvements de l’armée allemande en zone Sud.
Elle réussira également à établir l’organigramme de la Gestapo lyonnaise, dirigée alors par Klaus Barbie, qui sera communiqué à la Résistance française puis à Londres (cf. les témoignages fournis dans la brochure Dora Schaul éditée par notre association).
Pour rappeler son action courageuse, la route passant devant le camp de Brens porte désormais son nom depuis le 12 mars 2006, jour de l’inauguration et de la pose de la plaque commémorative, en présence de son fils Peter et de sa petite-fille, Anja.
Michèle Domenech, née Micaela Heredia (1913-2003)
Militante communiste, Michèle Domenech va poursuivre, après la dissolution du PCF le 26 septembre 1939, ses actions de résistance : agent de liaison, puis responsable d’une grande imprimerie clandestine dans le Tarn, près de Tain-l’Hermitage, où elle est arrêtée le 1er septembre 1943. Après avoir connu la prison à Valence, puis Grenoble, elle est internée au camp de Brens le 22 décembre1943.
Elle tombe alors malade et doit être dirigée vers l’hôpital d’Albi où elle est opérée 2 fois ; connaissant sa présence à l’hôpital un groupe de Francs Tireurs intervient pour la libérer au cours d’uneopération spectaculaire. Rétablie, elle reprendra très vite ses missions et poursuivra après guerre ses actions militantes, mais lors d’une manifestation à Montpellier contre la guerre au Vietnam, touchée aux yeux par une grenade, elle perdra la vue.
Cela ne l’empêchera pas de prendre une part active à la vie politique en devenant conseillère municipale à Bagnolet, près de Paris, où elle s’était installée. Elle fut décorée de la Légion d’honneur par Jean-Claude Gayssot le 19 mai2000 (cf. la rubrique Personnalités internées).
Autres tentatives individuelles
De nombreuses tentatives d’évasion eurent lieu durant le séjour des internées au camp de Brens, mais elles ne furent pas toutes couronnées de succès. Plusieurs femmes réussirent à s’échapper mais elles furent reprises peu de temps après et nous trouvons parfois dans les registres examinés aux Archive Départementales du Tarn : « en fuite le… » ; puis la mention : « reprise le… ».
Les évasions collectives
La plus importante concerne un groupe de militantes communistes
Josette Billoux, Odette Raynaud et Fernande Valignat, ainsi que deux autres camarades dont nous ne connaissons pas les noms, dans la nuit du 14 au 15 mai 1944.
Cette évasion réussie est mieux connue depuis 1999 grâce au témoignage recueilli auprès d’une ancienne professeure de mathématiques enseignant au lycée de Gaillac sous une fausse identité. Elle habitait avec son mari Maurice Verner, ingénieur sans emploi en raison des lois antisémites, place de La Courtade, à
Gaillac en face du camp, sur la rive opposée du Tarn.
Par des contacts établis avec un couple de gardiens (la famille Louis), des pinces parvinrent aux internées qui purent couper les barbelés, et rejoindre le domicile de ce couple ami.
Elles resteront cachées là plusieurs jours jusqu’à la fin des recherches puis pourront parvenir jusqu’à la gare de Tessonnières, moins surveillée que celle de Gaillac.
Le témoignage d’Emilie Verner , devenue Morin après son remariage, nous a été communiqué par sa fille, Nicole Savaric, adhérente de notre association en 1999 (cf. la longue note p.30 de notre brochure).
Cette évasion marquante est évoquée également par Angelita Bettini dans son livre, en réponse à une question de son éditrice, Catherine Heurteux-Peyréga (cf.p60).
Son témoignage nous renseigne sur la façon dont les projets d’évasion étaient préparés par les internées politiques les plus déterminées : les candidates au départ étaient désignées collectivement, mais au dernier moment, pour des raisons pas forcément explicitées, le choix pouvait changer. C’est ce qui se produit dans le cas d’Angelita qui déclare « avoir été privée d’évasion… » « …Ce n’est pas toi qui pars, c’est Josette » (probablement Josette Billoux, militante communiste, car 3 ou 4 évasions, des pinces oubliées par le gardien, tout cela fait penser à l’évasion décrite précédemment ; un gaillacois a fait ensuite traverser le Tarn dans une barque).
Les représailles qui suivirent cette évasion réussie de 5 internées furent particulièrement dures : dès le lendemain le courrier, les colis, les visites sont interdits pendant 15 jours, et 5 internées considérées comme complices se retrouvent au cachot, dans un complet isolement, pendant 8 jours.
Autre évasion collective connue : celle de 2 politiques, le 22 août 1943 : Colette Lucas et son amie originaire de Gap, résistantes gaullistes
Nous la connaissons d’abord par le témoignage de l’équipière de la Cimade, Lucie Leplattenier-Gonthiez, envoyée au camp pour un remplacement du 17 juillet au 1er septembre 1943.
L’une des deux évadées donnait des cours de géographie économique au Foyer Culturel du camp. Les circonstances de leur évasion sont demeurées inconnues jusqu’à une rencontre faite en 2000 à Albi lors de l’exposition de notre association à l’Athanor où l’équipière de la Cimade nous a appris qu’elles s’étaient laissé glisser le long d’un ravin de plus de 30m donnant sur le Tarn (cf. p.42 de notre brochure).
La lecture récente sur internet des entretiens réalisés sur cassettes par Jean-François Brieu en 1997 et 98 avec Colette Lucas ép. Sanson et numérisés par sa fille la chanteuse Véronique Sanson en 2008 nous ont permis d’apprendre la suite.
Mettant à profit un violent orage, les gardes s’étant réfugiés sous leurs guérites, Colette et son amie s’évadent en se laissant bien glisser le long de cette pente abrupte, puis elles marchent dans une boue compacte en suivant le bord de la rivière, finissent par repérer un dépôt de bois qui les met sur la trace d’un sentier pour remonter ; elles découvrent alors une petite route signalant Albi à 35 kms. Toujours à pied, mais sans chaussures, elles arrivent à Albi où Colette connaissait une amie de sa sœur, mais elle est en vacances… Seul espoir, la gare : elles achètent un billet pour Arles, redoutant leur passage à Gaillac car le train sera sûrement fouillé ; il l’est, mais elles s’enferment dans les toilettes, le gendarme pense qu’elles sont inutilisées et n’insiste pas. Leur contact communiste en Arles se trouve dans l’arrière-salle d’un café : là elles peuvent manger et se reposer ; le lendemain elles seront cachées dans une ferme à la campagne.
Leur tentative d’évasion a réussi, et c’est une explosion de joie !
« Il n’ya pas de sensation plus exaltante que retrouver la liberté. Un état de surexcitation, d’exaltation fantastique, on n’arrêtait pas d’avoir les larmes qui coulaient, de s’embrasser… »
in : Doux dehors, fou dedans, Lattès, 2001 (biographie de Colette Sanson par Jean-François Brieu).
Toutes deux poursuivront par la suite leurs actions dans la Résistance.
Ainsi, grâce à leur pugnacité et à leur courage, certaines internées, malgré une censure et une surveillance très sévères, ont pu, avec le soutien des divers réseaux de résistance et la complicité de certains gardiens, s’évader du camp de concentration de Brens.