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UN CAMP POUR FEMMES : BRENS 1942-1944

L’exposition « Il n’y a pas d’avenir sans mémoire » a été réalisée en 1998, avant l’ouverture officielle des Archives, avec une dérogation du ministère de… la Culture, au nom de la recherche en Histoire locale. Elle ne concerne que la période du 13 février 1942 au 3 juin 1944, pendant laquelle le site a été « camp de concentration réservé aux femmes ».

Les documents consultés à l’époque n’étaient pas classés, il a fallu exploiter des liasses de mauvais papier. Heureusement pour le camp de Brens, la bureaucratie de Vichy avait bien fait les choses et les documents étaient classés par grands thèmes.

L’exposition porte la marque d’un travail artisanal, réalisé avec peu de moyens. Elle reproduit des documents administratifs d’époque, elle est donc peu « attractive » mais elle met en évidence le fonctionnement de l’internement administratif et de son évolution de février 1942 à juin 1944, pour des femmes internées pour des raisons politiques, économiques, ou liées à l’ordre moral. Aussi, jusqu’en octobre 1943, des prostituées ou des « filles soumises » étaient internées. Fin 1943, Philippe Pétain se rendait compte de l’utilité sociale de ces personnes puisque la « collaboration horizontale » (même si ce terme est détestable) avait produit des centaines de milliers de naissances, réalité occultée bien sûr après la guerre. L’économiste Bernard Maris, dans son livre posthume « Et si on aimait la France », les évalue à 300.000.

Quatre photos du camp sont celles d’André Jean Faure, préfet chargé du suivi et de l’internement, et datent de 1942. D’autres photos ont été prises par des internées, dont Dora Davidsohn, future Dora Schaul, qui avait un Leica. La Direction du camp a pris des photos de manifestations culturelles, en particulier des scènes théâtrales, avec un objectif : présenter un camp répressif comme une aimable colonie de vacances.

Panneau 1

Le premier des 14 panneaux montre l’évolution historique de l’internement administratif, chose en principe inimaginable dans une république et pourtant bien en place de novembre 1938 au 10 juillet 1940, où elle disparaît. Plusieurs événements ponctuent cette descente en enfer : les Accords de Munich du 30 septembre 1938, le décret-loi Daladier Lebrun Sarraut du 12 novembre 1938. Le premier camp est ouvert à Rieucros le 21 janvier 1939, avant le camp de la « Retirada ».
La venue au pouvoir de l’Etat français fera se juxtaposer la xénophobie d’Etat de la 3ème République à un antisémitisme d’état radical qui amènera l’Etat français à la complicité de crime contre l’humanité inscrit sur la stèle du camp de Brens le 15 août 2015.

Panneau 2

Ce deuxième panneau montre comment s’effectue le transfert de Rieucros à Brens, avec quels moyens et pourquoi : manque d’eau, affaiblissement des femmes après près de deux ans d’internement, infection ophtalmologique mal soignée.

Panneau 3

Présentation de l’organigramme très complet de l’administration du camp et son infâme bureaucratie.

Panneau 4

Les motifs d’internement sont un véritable inventaire à la Prévert. Deux figures apparaissent : Johanna Grothendieck, la mère du mathématicien, internée pour son anarchisme militant et Maria Sevenich au parcours très atypique. Réfugiée en France dès 1933, appartenant à l’aile gauche du Parti Communiste allemand, elle devient religieuse dominicaine avant d’être livrée à la Gestapo en juin 1942, en application de l’article 19-3 de la convention d’armistice.

Panneau 5

Il y avait des Françaises à Rieucros, des indésirables surtout communistes après la dissolution du PC. Elles arrivent à Rieucros à partir de novembre 1939. Une figure de la contestation politique militante à Vichy est Fernande Valignat, à qui l’administration du camp reproche de glisser des messages politiques contre l’Etat français dans ses cours de littérature, et elle est sanctionnée pour cela.

Panneau 6

Ce panneau décrit la vie du camp, le quotidien, les mesures disciplinaires (Rieucros et Brens étaient des « camps de concentration répressifs »). Ces mesures disciplinaires montrent l’invraisemblable bureaucratie de l’Etat français puisque le chef de camp pouvait prendre des sanctions de 8 jours, le préfet du département de 8 à 15 jours et Vichy de 15 jours à 1 mois et au-delà !

Panneau 7

Une école a été ouverte dans le camp de Brens, contrairement à Rieucros où les enfants devaient faire 5 km, parfois dans la neige, pour accéder à l’école primaire de Mende. Cette école a été dirigée un temps par la femme du chef de camp.
Sur ce panneau, il y a aussi des photos de manifestations théâtrales sur le parvis du pavillon de chasse. Un certain nombre d’internées allemandes faisaient partie du « cabaret berlinois » et avaient bien sûr d’incontestables qualités artistiques. Les photos ont été prises par le fils du chef du camp, selon le témoignage de Nuria Mor dans son livre. Ces photos avaient bien sûr un but idéologique pour montrer que le camp n’était pas bien méchant !

Panneau 8

Ce panneau fait le point sur le système de santé propre au camp. L’infirmerie n’a été terminée qu’en mai 1942. De février à mai, un jeune médecin de Gaillac, le docteur Ferrié, assurait des consultations à heure fixe tous les deux jours.

Le problème du ravitaillement était une préoccupation lancinante. De tous les témoignages récoltés, il apparaît que la faim était omniprésente. Il y a un abîme entre les menus affichés par l’administration du camp, équilibrés et variés, et la réalité vécue par les internées (témoignages d’Angelita Bettini et de Nuria Mor dans leurs livres).

Panneau 9

C’est un panneau tout à fait explicite qui montre comment le camp de brens a été un maillon de la mise en œuvre de la Shoah, au même titre que les autres camps du Sud-Ouest, beaucoup plus importants (Gurs, Le Vernet, Septfonds…). On voit ce qui s’est passé le 26 août 1942, date que l’on retrouve sur les stèles de Brens et Gaillac, et qui a marqué à vie les internées. Il a fallu attendre le 15 août 2015 pour qu’à Brens soit enfin reconnu le caractère racial de cette rafle. On doit noter la volonté d’euphémisation de l’administration du camp face à la lutte menée par les internées pour empêcher la déportation de leurs « sœurs étrangères ». L’administration parle d’une « certaine effervescence », les internées auraient seulement poussé « quelques cris » alors qu’il y a eu une véritable bataille contre les GMR.

Panneau 10

Intitulé « Paroles d’internées », ce panneau est réalisé à partir de lettres du contrôle postal.

Panneau 11

Le départ, le 4 juin 1944 vers le camp de Gurs, et la venue des « mongols », prisonniers russes venant d’Asie centrale ou appartenant à « l’armée Vlassov ». Aux prisonniers russes, les nazis laissaient le choix : soit mourir de faim soit devenir des supplétifs de l’armée allemande. Ces soldats resteront peu de temps dans le camp, mais laisseront une empreinte durable dans la population locale. Ils susciteront la peur et l’insécurité, assassinant une personne qui passait sur le pont St Michel.

Panneau 12

Sont évoquées des personnalités ayant séjourné au camp, comme Dora Schaul ainsi que des proches d’adhérents de notre association, l’allemand Karl Matisick, appartenant au groupe résistant Vendôme, Renée Taillefer Mège, résistante reconnue et trésorière pendant des années de l’association ainsi que Joseph Wagner, père d’une de nos adhérentes Maria Jacottet. Arrêté à Agde par la police française, passé par la baraque 21 du camp de Saint-Sulpice à Castres, il est livré à la Gestapo et décapité à la hache à Berlin comme traître à la patrie.

Bref, si on fait l’effort de s’intéresser à cette exposition –et l’effort est nécessaire- on voit comment une république bien établie a pu mettre en place une procédure exorbitante du droit commun, l’internement administratif qui a provoqué sa fin misérable et la mise en place de ce que l’on appellerait aujourd’hui un régime « illibéral », autoritaire et finalement meurtrier.