Alexandre Grothendieck Nancy au début ses années cinquante

Notre hommage à Alexandre Grothendieck

Lundi 12 octobre 2020 à 20h30L’Imagin’ cinémas de GaillacOrganisé par Association Camp de Brens

En présence de sa fille Johanna Grothendieck et du réalisateur Hervé Nisic du film L’espace d’un homme – Le projet Grothendieck qui sera projeté au cours de la soirée.

L'espace d'un Homme Affiche Gaillac Basse Def
L’espace d’un Homme Affiche Gaillac Basse Def

Ce film évoque la personnalité atypique d’Alexandre Grothendieck qui a été interné adolescent au camp de Rieucros puis brièvement au camp de Brens avant d’être orienté vers le Centre d’accueil de la CIMADE à Vabre, dans la montagne tarnaise.

Présentation du film par Hervé Nisic

Ce film part à la recherche d’un homme « véritable », un des plus grands penseurs des mathématiques, intègre, admiré, rejeté et finalement retiré d’un monde trop éloigné de l’intransigeance de ses idéaux.

Précurseur génial en mathématiques, il a aussi anticipé les désastres écologiques où une science aveuglément asservie aux intérêts matérialistes pourrait mener l’humanité à sa perte. Rebelle de profession en quelque sorte, il a traversé toutes les failles de l’histoire du vingtième siècle de l’Allemagne à la France et s’est trouvé au point de rupture de la politique, de l’idéologie et de la théorie.

Aller à la recherche de cet homme remarquable, c’est se confronter à la beauté de l’exigence, à l’intransigeance du désintéressement. C’est faire partager l’alliance profonde entre l’intelligence et la poésie qui permet de s’approcher des secrets du monde. C’est aussi aider à comprendre cette force sourde, profonde, incontrôlable, qui pousse un esprit hors norme à l’engagement total et par là même à se couper du monde.

Alexandre Grothendieck Nancy au début ses années cinquante
Alexandre Grothendieck Nancy au début ses années cinquante

Présentation de notre hommage à Alexandre Grothendieck

par Remi Demonsant

Notre association se devait de rendre hommage à Alexandre Grothendieck dans la mesure où nous savions que le jeune adolescent avait été interné avec sa mère au camp de Rieucros tandis que son père Alexandre Shapiro l’était au camp du Vernet d’Ariège avant sa Déportation et son extermination à Auschwitz.

Elle se le doit encore davantage depuis que nous avons découvert sur internet un écrit du grand mathématicien mentionnant explicitement son passage par le camp de Brens et aux Archives Départementales du Tarn l’inscription de sa mère « Grothendieck Johanna, dite Franka » – Franka étant sans doute une déformation de son prénom usuel Hanka – sur les registres des camps de Rieucros et de Brens.

La présence d’Alexandre au camp de Brens n’y est indiquée que par la mention « 1 enfant ». Dans ces registres, les enfants n’existent pas en tant que tels, ils ne sont que des nombres ainsi que l’exprimait Jean Ferrat dans sa chanson Nuit et Brouillard pour les Juifs déportés de France. Ces registres, qui sont les mieux tenus de tous les camps français d’après l’historien Denis Peschanski, mentionnent l’identité des femmes internées avec de nombreux renseignements administratifs et éventuellement avec le nombre d’enfants qui accompagnent chacune d’elle mais sans aucune autre précision : ni prénom, ni nom, ni âge. C’est d’ailleurs la mention d’un enfant accompagnant Johanna Grothendieck qui confirme la présence au camp de Brens de son fils Alexander. Celle-ci m’a été révélée par la découverte d’un écrit de Winfried Scharlau, Materialien zu einer Biographie von Alexander Grothendieck (Matériaux pour une biographie d’Alexander Grothendieck) dont j’ai extrait cette citation du mathématicien :
Die längste Zeit, die ich mit meiner Mutter interniert war, verbrachte ich im Lager Rieucros einige Kilometer entfernt von Mende – ein kleines Lager für Frauen (ungefähr 300 Internierte), von denen einige Kinder hatten. Ich bin nur einige Monate im Lager von Brens gewesen, nahe Gaillac, wohin das Lager von Rieucros verlegt wurde und wo meine Mutter noch zwei Jahre blieb. Der Aufenthalt in den Lagern war für mich eine harte Schule, aber ich bedaure nicht, sie durchgemacht zu haben. Was ich dort gelernt habe, hätte ich niemals aus Büchern lernen können. Übrigens hat mich niemals die Vorstellung verlassen, dass solche Zeiten wiederkehren werden, und dass ich vielleicht nochmals solche Prüfungen – vielleicht sogar schlimmere – werde durchstehen müssen.
En voici ma traduction :
La période la plus longue, durant laquelle j’ai été interné avec ma mère, est celle que j’ai passée au camp de Rieucros, éloigné de quelques kilomètres de Mende – un petit camp pour femmes (environ 300 internées) parmi lesquelles quelques enfants. Je ne suis resté que quelques mois au camp de Brens près de Gaillac où le camp de Rieucros fut transféré et où ma mère resta encore deux années. Le séjour dans les camps fut pour moi une dure école mais je ne regrette pas de l’avoir vécu. Ce que j’y ai appris, je n’aurais pu l’apprendre dans aucun livre. Du reste ne m’a jamais quitté l’idée que des temps semblables reviendront et que je devrais peut-être encore une fois affronter de telles épreuves, peut-être encore plus graves.

La découverte de la présence du jeune Alexander au camp de Brens grâce à ces quelques lignes fut pour nous une réelle surprise car toutes les autres sources passent sous silence – sans doute par manque d’information – sa venue dans le Tarn et le font passer directement du camp de Rieucros au Collège Cévenol du Chambon-sur-Lignon. Il a donc bien été transféré au camp de Brens avec les 324 femmes (dont sa mère) et parmi les 26 enfants présents à la fermeture de Rieucros le 14 février 1942.

La courte durée de son séjour à Brens s’explique sans doute par le problème que posait son internement parmi ces nombreuses femmes du fait de son âge et de son développement physique. C’est pour cette raison qu’il aurait été transféré au Centre d’accueil ouvert par la CIMADE à Vabre, dans la montagne tarnaise qui fut, comme Le Chambon-sur-Lignon et plus généralement les Cévennes, une terre de refuge pour les huguenots à partir du 16e siècle avant de devenir un refuge pour les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Et ce serait de ce centre que l’association protestante d’aide aux réfugiés et également aux internés des camps français aurait réussi à l’exfiltrer au Chambon et qu’il aura pu être caché au Collège Cévenol jusqu’à la fin de la guerre.

J’utilise le conditionnel car nous n’avons pas encore trouvé de sources confirmant son passage à Vabre pas même les archives de la CIMADE qui ont été versées à La Contemporaine et que j’ai consultées en mars 2019 à l’Université de Paris 10 Nanterre. Je n’y ai pas trouvé confirmation du passage d’Alexandre par Vabre mais l’information des liens étroits qui unissaient ce centre d’accueil aux équipières CIMADE du camp de Brens. C’est d’ailleurs une équipière qui avait été précédemment active à Brens, Amélie Parker qui a ouvert le centre de Vabre. Grâce à ces liens entre les deux structures, des enfants et des femmes ont pu être sortis du camp, souvent pour des raisons médicales. C’est ainsi que Johanna Grothendieck le sera à son tour le 25 janvier 1944.

Selon l’historien Gérard Bollon et cela confirme les propos de l’intéressé, Alexandre est arrivé au Chambon-sur-Lignon en juin 1942. D’un point de vue chronologique, ce parcours d’Alexandre est cohérent : le 14 février 1942 arrivée au camp de Brens où il reste « quelques mois », puis transfert au centre de Vabre qui, grâce aux réseaux protestants (CIMADE, pasteurs…), l’oriente en juin vers Le Chambon. Il y est accueilli à la maison d’enfants La Guespy gérée par le Secours Suisse aux enfants et dirigée par Juliette Usach, médecin espagnole réfugiée en France.

La source biographique la plus complète et la plus fiable concernant Grothendieck est sans doute Le Maitron, le fameux dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et du mouvement social. Voici la référence numérique de sa notice : https://maitron.fr/spip.php?article170819. Et pourtant celle-ci aussi ignore la venue d’Alexandre dans le Tarn.

Dans ces conditions, nous ne pouvons faire grief de ne pas l’avoir découvert à Hervé Nisic qui s’est rigoureusement documenté sur la personnalité du génial mathématicien et de l’écologiste radical avant de réaliser le film L’espace d’un homme – Le projet Grothendieck que nous nous réjouissons de vous présenter lors de notre soirée d’hommage à Alexandre Grothendieck en présence de sa fille Johanna.
L’espoir n’est pas perdu que soit reconnu son passage par le camp de Brens et par le centre d’accueil de Vabre car ainsi qu’Hervé Nisic me l’a écrit son « film est un objet mouvant qui évolue au fil du temps ».